Covid à l’école

Sidi

Numéro cent cinq ! numéro cent six ! numéro…Il est 9 heures passée et l’enseignant Kadal poursuit l’appel au collège 11 de Nouakchott. Le ton de moins en moins imposant, et de plus en plus espacé, entrecoupé des chuchotements de la peuplade de bleus de première année à laquelle il fait face, et dont plus de 70% lui sont parvenus, repêchés avec une moyenne de 80/200. Entrecoupé aussi par les rafales de vent chargé de poussières, traversant la salle, de portes à fenêtres sans battants ni vantaux. Entrecoupé surtout de pensées intérieures lui rappelant les requêtes familiales du jour: l’ordonnance de madame, la facture de la SOMELEC, les dettes du boutiquier du coin, impayées depuis bientôt deux mois, la facture du mois passé de l’école privée des enfants …… Lui rappelant également son maigre salaire retenu par erreur depuis cinq ans, ses avancements d’échelons bloqués illégalement, ses collègues instituteurs chargés de cours à l’enseignement secondaire qui n’arrivent pas à intégrer l’enseignement secondaire, malgré leurs diplômes académiques, leurs compétences avérées et l’importance des expériences accumulées, ses collègues contractuels à durée indéterminée privées illégalement de leur droit aux différentes indemnités octroyées à leurs collègues de travail, le statut illégal des prestataires de services d’enseignement, ses élèves entassés dans cette salle infecte au plancher parsemé de nids de poule et d’ordures, et ceux du privé, amassés comme des sardinelles dans des chambrettes mal aérées.

  • Quelqu’un pour chercher un chiffon et de la craie? ordonna-t-il,  mezza-voce.
  • Moi ! moi !  moi ! tonnèrent-ils en chorale.

Quelques minutes plus tard, l’envoyé revient un morceau d’éponge sale en main se plaignant de ne pas avoir trouvé de l’eau pour le décrasser, la craie qu’il a apportée est dure comme carmeltazite.

A 9 :50, la récréation s’annonce à coups de galet sur le flanc d’une vieille jante de 2 CV, suspendue au milieu de la cour. Il s’affale, brisé, sur un vieux banc de bois dans le bureau du directeur.

Avez-vous entendu la dernière nouvelle, annonce un autre collègue qui venait de faire irruption dans le petit bureau : il paraît que les autorités s’apprêtent à fermer les écoles à cause de Covid 19.

C’est dommage, répond un autre avant de s’installer sur le banc. Nous n’avons même pas encore fait le tour des 2/3 des programmes.

En effet, le 14 mars 2020, suite à la récente proclamation par l’OMS de la maladie comme « pandémie » et la constatation du 1er cas confirmé du virus dans le pays, le 13 mars 2020, le Gouvernement mauritanien a arrêté une série de mesures dont la fermeture des établissements scolaires.

Pour une semaine d’abord, puis jusqu’au 5 avril, puis jusqu’au 30 avril, puis jusqu’au 25 mai, jusqu’au 1er septembre, …..

Pour Kadal, cette fermeture des écoles l’a mis sur la paille. Il vivait essentiellement des vacations que lui payaient les écoles privées. Ces dernières avaient débarqué tout leur personnel. Sans façon.

C’est une catastrophe s’écrie-t-il. Comment pourrais-je assurer la pitance journalière ? Et l’eau ? Et l’électricité ? Et le loyer ? Et l’éducation des enfants ? Et ….

Le maigre salaire de la fonction publique ne pouvait couvrir plus de 25% de ses dépenses.

Pour comble d’infortune, à la fermeture des écoles venait se joindre celle des routes et des frontières entre les différentes régions du pays. Bloqué à Nouakchott, privé des ressources provenant des écoles privés, il s’est retrouvé dans le dénuement quasi-total, avec comme seul revenu le maigre salaire de la fonction publique.

Loin de la grande famille où il avait l’habitude d’emmener sa femme et ses neuf enfants pendant les vacances d’été. Là-bas, au moins, il ne paye pas le loyer et la vie est moins chère. Il trouve aussi à s’occuper : puiser l’eau pour la palmeraie, aider à gérer le bétail familial, scruter le ciel en quête de nuages pluvieux dans l’espoir de donner main forte aux travaux des champs…..

Il se mit à fouiller dans son Smartphone se rappelant avoir téléchargé un document intitulé «Plan de riposte de l’éducation en réponse à la pandémie du Covid 19 » : activation de la télévision et de la radio scolaires; production de contenus numériques; création de plateformes de formation à distance sous multiples supports, …… Une liste de mesures alignées par le ministère de l’éducation dans ce document qu’il ferma aussitôt, sans grand espoir. Que du bla-bla se dit-il, en pensant au milieu rural où il n’y a ni télévision ni internet, à cause de l’absence d’électricité, aux coupures intempestives de l’internet et du courant électrique dans les villes,

Cloué à la maison et ne se sentant bon à rien, à part faire le poireau, il fermait souvent les yeux et laissait divaguer son esprit. L’idée lui est venue que, dorénavant, il serait plus intéressant de rester au village. Les enseignants fils du village auront à s’occuper de l’éducation des enfants de la tribu. Loin des écoles privées, ils seront continuellement à la portée des questions des enfants. De jour comme de nuit. Aux champs. Au puits. Au moment des repas. A la mosquée. Ainsi il y aura moins d’élèves par classe. Il y aura moins de déperdition scolaire. Toutes les filles pourront aller à l’école. Elles apprendront même à militer contre les mariages précoces, l’excision…..

Après six mois de confinement, retour à l’école. Son regard se posa sur une caisse qui gisait au pied de la petite table du bureau du directeur. Des manuels scolaires, souhaita-t-il. La voix rude du directeur le tira de son illusion : cette caisse contient des masques et de l’eau de Javel. Malgré son volume, elle ne contenait qu’une petite quantité de masques et 2 bouteilles d’eau de javel.

Au premier jour de la reprise, toute la gent masculine du collège a eu droit à un masque. Pas les filles. A la question pourquoi, posée par l’un des collègues, le directeur répond que leurs voiles et foulards peuvent servir de masques.

Cette réouverture des classes ne dura que 2 petites semaines. Juste le temps d’organiser des compositions hâtives et clôturer l’année scolaire.

Se laissant de nouveau à la rêverie, Kadal se dit que cette crise donne sérieusement à réfléchir à nos décideurs. Il y a urgence d’intégrer l’enseignement à distance dans le système éducatif. Pour ce faire, il est indispensable de donner à tous les enseignants, en plus d’un salaire décent, une formation solide en matière de manipulation de l’outil informatique. L’informatique doit être impérativement enseignée aux élèves à l’école.

Aussi, pense-t-il, il y a lieu de mettre fin à la politique de regroupement. Il faut plutôt recruter des milliers d’enseignants et planter une école dans chaque campement. Dans chaque village.

Mais la question qui le taraude sans cesse est de savoir à quand le retour à la normale. A quand la fin de cette pandémie qui ne cesse de décimer les populations, les plus nanties comme les plus vulnérables. Comment agir dans ses conditions macabres. Il finit par se rappeler que nous avons déjà traversé bien d’autres crises. Il suffit d’oser. Sénèque ne disait-il pas « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas; c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. » ?

Nouakchott, le 27 septembre 2021

Sidi Idoumou BOUDIDA

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